“Habillé en costume et cravate sombres, chemise blanche et masque noir, je déambulerai lentement dans les couloirs, sur la cour. M’asseyant sur un banc, m’appuyant contre un arbre…, j’attendrai la rencontre.” Pierrick Naud décrit ainsi les conditions d’une performance qu’il a réalisée en 2008, dans le cadre d’une résidence au lycée Victor Hugo d’Hennebont, en Bretagne. Ces quelques mots condensent exactement ce qu’il en est de sa démarche et des formulations plastiques qu’il lui donne. La figure humaine et la question du masque en sont les vecteurs primordiaux et y déterminent de fait la quête d’une troublante communication.
Notre image, sinon celle qu’il invente et qui parcourt son œuvre, l’artiste en envisage une représentation qui la renvoie à l’ordre d’une iconographie paradoxale, tout à la fois étrange et familière. Par-delà toute considération d’identité, il en propose une figure universelle qu’il dresse en modèles génériques et qu’il met en jeu dans des saynètes innommables. Qu’elles soient livrées dans leur solitude, sur fond volontiers nébuleux, ou qu’elles soient prises au piège d’un lacis qui les brouille, voire les dédouble, les figures de Pierrick Naud imposent au regard une présence mémorable forte de leur histoire enfouie. Son art est requis par l’idée d’une révélation, jouant ainsi d’une dialectique qui balance entre disparition et épiphanie comme pour mieux signifier la difficulté d’un être au monde.
L’intérêt de l’artiste pour la photographie ajouté au choix quasi exclusif qu’il a fait du dessin prend ici tout son sens. Ces deux modes sont ontologiquement ceux-là mêmes d’une relation en prise directe avec la question de l’image. Or celle-ci est centrale chez Pierrick Naud. Le fait que la photographie se détermine au rapport d’un avènement et que le dessin est à l’écho de l’enregistrement de la voix haute de la pensée qualifie sa démarche à l’aune d’une esthétique sensible qui en dit long de l’expression d’une intériorité.
Que toutes ses figures présentent un visage plus ou moins masqué, les privant systématiquement de leur regard, ne les empêche nullement d’être en situation active, en un moment suspendu, dans une posture qui nous interpelle et qui fait la part belle à la dimension de l’énigme. Leur mystère est parfois augmenté par la façon dont l’artiste nous les donne à voir sujettes à toutes sortes de métamorphoses végétales ou animales, comme pour accréditer leur existence imaginaire et les faire appartenir à un monde autre. Un monde surréel comme la mémoire aime à en jouer dès lors qu’elle est en butte à la possibilité de se souvenir et qu’elle s’invente une échappée mêlée d’étrange et d’incongru.
“Le beau est toujours bizarre”, proclamait en son temps Charles Baudelaire. L’œuvre de Pierrick Naud en est une magistrale illustration. Elle vise à bousculer nos habitudes perceptives, à interroger nos certitudes et à remettre en questions nos affirmations. Le programme est ambitieux. Il est à la hauteur d’un pari que se doit de tenir tout artiste digne de ce nom : celui de ne jamais nous laisser en repos et de nous obliger au qui-vive permanent pour ce que, de sa fréquentation, nous ne devons pas sortir indemne.
“Dressed in a dark suit and tie, white shirt and black mask, I will slowly wander down the corridors, on the playground. Sitting on a bench, leaning against a tree…, I will wait for the accounter.” This is how Pierrick Naud describes the conditions of a performance he built in 2008, during a residency in the high school Victor Hugo in Hennebont, Brittany. Those few words precisely condense his process and how he expresses it visually. The human figure and the evocation of a mask are its primary vectors and thus determine the quest for a troubling communication.
Our image, if not the one he invents and that sweeps his work, is envisioned by the artist as a representation that turns it into a paradoxical iconography, at once strange and familiar. Beyond any identity consideration, he offers of our image a universal shape, which he turns into generic models and sets in unnamable skits. Whether they are handed over in their solitude, with a willingly nebulous background, or prisoners of a blurring maze which sometimes even duplicates them, Pierrick Naud’s shapes, built on a buried history, impose on the gaze a memorable presence. His art is required by the idea of a revelation, thus playing with a dialectic that vacillates between disappearance and epiphany, as though to better underline how difficult it is to be in the world.
The artist’s interest for photography, added to the almost exclusive choice of using drawings, makes utter sense here. These two methods are ontologically those of a relation in direct contact with the question of what a picture is. Indeed, that question is central in Pierrick Naud’s work. The fact that photography is determined by the relationship to an advent and that a drawing echoes the recording of an outloud thought, qualifies his approach in light of a sensitive esthetic that says a lot about the expression of inwardness.
That these shapes all present a more or less masked face, preventing them from seeing, does not stop them from being in an active situation, in a suspended moment, in a posture that calls out to us and makes room for enigma. Their mystery is sometimes heightened by the way the artist shows them being subject to all sorts of vegetal or animal metamorphoses, as though to substantiate their imaginary existence and make them belong to another world. A surreal world, that memory likes to play with when it cannot remember and invents an escape made of strangeness and incongruity.
“What is beautiful is always weird”, proclaimed Charles Baudelaire. Pierrick Naud’s work masterfully illustrates that quote. It aims to shake up our perceptive habits, interrogate our certainties and question our affirmations. It is an ambitious agenda. It meets the bet any artist worthy of the name must make : to never leave us resting and force us to be constantly alert so that we don’t come out unscathed of being around the artist.